L’information est à signaler, l’INSEE a répondu à mon livre Pouvoir d’achat, le grand mensonge par un courrier du directeur général accompagné d’une note de plusieurs pages. On sent ce dernier quand même un peu pincé, je n’ai même pas droit à une formule de politesse… Bref. Je me doute aussi que cette note a été envoyée à la presse économique, alors je vais répondre aux critiques formulées, sans adopter le ton méprisant et condescendent du courrier ; mon livre n’est pas anti-INSEE, je critique le calcul du pouvoir d’achat, mais je cite à de nombreuses reprises des travaux de l’institut, dont je reconnais évidemment la qualité du travail.
- L’INSEE me reproche de citer le "pouvoir d’achat du revenu disponible brut" (cf tableau page 98 de mon livre) alors que "l’indicateur statistique le plus proche du ressenti des ménages au niveau individuel est le pouvoir d’achat par unité de consommation", qui progresse moins vite et s’affiche dans le rouge à 11 reprises depuis 1978. Très bien, mais alors pourquoi communiquer uniquement sur le premier ? Pourquoi laisser le gouvernement s’en prévaloir sans le corriger ? Mais bien sûr, le pouvoir d’achat a une telle valeur d’affichage qu’il faut mettre en avant le calcul le plus favorable, quitte à concéder ensuite discrètement certaines limitations.
- L’INSEE me dit que les impôts et les crédits ne sont certes pas pris en compte dans le calcul de l’inflation mais qu’ils le sont dans celui du revenu des ménages, il n’y a donc pas d’oubli. Fort bien. Mais justement, l’OFCE a établi dans une étude du 20 novembre, d’après les données de l’institut, que le revenu disponible des Français a baissé de 440 euros entre 2008 et 2016, essentiellement à cause des hausses d’impôt. Sur la même période les prix ont continué d’augmenter, en conséquence, mathématiquement, le pouvoir d’achat a diminué, mais ce n’est pas ce qu’indique l’INSEE… Pourquoi ?
- L’INSEE me reproche – ce qui est assez original – les citations que je fais de deux rapports officiels qui recommandent de mieux prendre en compte l’immobilier dans le calcul de l’inflation (pages 23, 25). Ce ne sont pas des citations tronquées mais des paragraphes entiers à chaque fois ! Concernant le rapport du Conseil d’analyse économique, l’INSEE extrait une phrase sensée contredire ces citations ("Si l’on se situe dans la stricte cohérence de l’IPC, il n’y a pas de raison de penser qu’un biais significatif existe dans un sens ou dans l’autre") : bien sûr, mais l’objet des rapports, et de mon livre, consiste justement à s’interroger sur la pertinence de l’IPC, c’est donc cette citation qui est sortie du contexte. Concernant le rapport du ministère de l’économie (Quinet), l’INSEE cite le passage du rapport qui recommande de "mieux prendre en compte le coût de l’immobilier", merci (!), et s’engage dans une double dénégation contradictoire (notre IPC est parfait, et d’ailleurs on a construit d’autres IPC qui tiennent mieux compte de l’immobilier)… On est bien sûr ici au cœur du problème : la sous-estimation du logement dans le calcul de l’Indice des prix à la consommation (IPC).
- L’INSEE s’arcboute sur le chiffre de 6% comme part du logement dans le calcul de l’inflation : "une moyenne pondérée entre 0% (pour les 60% de ménages propriétaires) et 22% (pour les 40% de ménages locataires)". Et bien moi, en tant qu’économiste, je conteste la non-prise en compte de l’acquisition de logement, même si cela correspond à des normes internationales, car on néglige ainsi la part réelle que supporte les ménages. N’en aurais-je pas le droit ? Le courrier indique que dans l’IPC "le total des dépenses de consommation en logement" (loyer + charges diverses comme eau, électricité, etc.) s’élève à 14%, merci pour l’information, ça me semble aussi sous-estimé !
- L’INSEE soutient ensuite que même en tenant compte de la hausse des prix de l’immobilier, cela n’aurait rien changé ("+0,2% par an à peine au cours de la période 2000-2007"), chacun appréciera. Mais justement, pour répondre aux critiques formulées contre son indice des prix, l’INSEE a créé la notion de "dépenses pré-engagées", ou "dépenses contraintes" dont l’institut reconnaît qu’elles ont fortement grimpé pour atteindre un tiers du budget des ménages en 2010, or celles-ci sont essentiellement constituées des dépenses de logement : ainsi les dépenses de logement font progresser les dépenses contraintes, mais pas l’inflation… on est ici dans un double discours (j’en parle page 24).
- Venons-en à l’effet qualité, le second motif principal de sous-estimation de l’inflation. L’INSEE maintient qu’entre 1996 et 2017, le prix des ordinateurs de bureau a été divisé par 20 (pages 29 et 54), ce qui veut dire qu’aujourd’hui ils ne vaudraient quasiment rien, ce qui démontre l’arbitraire complet de cet effet. Le courrier me demande qui serait prêt à payer plus de 50€ un PC de 1996, mais c’est le prix du neuf que mesure la série de prix, cette remarque n’a donc aucun sens. Ensuite on m’oppose la loi de Moore (la puissance des processeurs double tous les deux ans), mais l’utilisation concrète par l’utilisateur ne suit pas la même progression ! Par ailleurs le courrier ne répond pas à l’étude… de l’INSEE qui je cite page 31 et qui montre un écart important entre les évaluations des organismes statistiques de l’Italie et de la France concernant les produits électroménagers, ce qui montre que cet effet est estimé au "doigt mouillé". Prenons un exemple pour bien nous faire comprendre : les smartphones permettent de ne plus avoir besoin d’acheter un appareil photo, un caméscope, un ordinateur familial, puisqu’ils remplissent très bien ces fonctions et, effectivement, ces produits ont vu leurs ventes s’effondrer. Voici le gain de pouvoir d’achat pour le consommateur ! Et c’est ce que devrait mesurer l’INSEE, plutôt que de se mettre dans la tête de ce consommateur et de postuler un "effet qualité" l’amenant à diminuer de façon parfaitement arbitraire le prix des smartphones dans son indice des prix.
- L’INSEE me fait un faux reproche concernant ma méthode (celle de Fourastié en fait) consistant à diviser le prix des produits par le SMIC pour obtenir un "prix réel" : justement, je n’utilise pas le SMIC horaire parce qu’il a fortement augmenté lors du passage aux 35 heures, de façon à maintenir la progression du SMIC mensuel (celui qui compte pour le salarié, la "feuille de paye") quand le temps de travail diminuait. Le résultat de mes calculs est une proportion du SMIC (net) mensuel, quel que soit la durée légale du travail.
- Ensuite l’INSEE critique l’exactitude de mes séries de prix, mais j’en suis bien conscient et je le signale à plusieurs reprises. Quant à dire que ces séries "ne sont absolument pas représentatives des prix observés en France au cours des 25 dernières années", c’est bien sûr faux puisqu’elles permettent, justement, d’identifier les séquences importantes de notre histoire économique (la crise au milieu des années 70, la remontée de plusieurs prix à la fin des années 70 suite à la baisse de l’intensité concurrentielle, la baisse des prix de la décennie 90 due à la mondialisation, la remontée des prix après la hausse des matières premières et de l’immobilier à partir de 2000, avec le détail suivant les types de produits).
- Enfin je maintiens la nécessité de faire de l’INSEE une agence véritablement indépendante (la création de l’Autorité de la statistique publique ne me semble pas suffisante) et, si l’accès aux données, après demande et autorisation, est une chose, l’open data, qui consiste à mettre ces données à disposition sur Internet en est une autre.