La commission Juppé-Rocard a rendu son rapport sur les «investissements d’avenir» (35 milliards) que devra financer le Grand emprunt. L’emballage est séduisant, il reprend, il est vrai, toutes les idées à la mode sur les secteurs considérés comme prometteurs, comme en témoigne les sept axes retenus (page 14):
1) Soutenir l’enseignement supérieur, la recherche, l’innovation
2) Favoriser le développement de PME innovantes
3) Accélérer le développement des sciences du vivant
4) Développer les énergies décarbonées et l’efficacité dans la gestion des ressources
5) Faire émerger la ville de demain
6) Inventer la mobilité du futur
7) Investir dans la société numérique
Mais ce sont des idées à la mode, qui peuvent changer plus vite qu’on ne le pense. En 2005 Jean-Louis Borloo promettait la création d’un demi-million d’emplois sur trois ans dans les «services à la personne», on connaît le flop de ce secteur, qui ne figure même plus dans le présent rapport.
Et il y a plus grave. Quand on enlève l’emballage et que l’on se plonge dans le corps du rapport, on s’aperçoit que les 35 milliards d’investissement vont passer par la tuyauterie déjà largement percée et inefficace d’organismes publics existants comme l’ANR (Agence nationale de la recherche), ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), Oséo (aide aux PME), Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) : « Pour l’essentiel, la Commission s’appuie sur des organismes publics existants pour réaliser les investissements d’avenir retenus. Par exception et pour accompagner la mise en œuvre des grands objectifs d’investissements, il est proposé de créer une agence des campus d’excellence, une agence pour les énergies renouvelables et une agence pour le numérique » (page 43). Il n’y a aucun dispositif fiscal ou réglementaire pour encourager l’initiative privée, tout repose sur des structures publiques, qui sont déjà surnuméraires et dont le fonctionnement est régulièrement dénoncé par la Cour des comptes ou des organismes indépendants.
On va même en créer une avec l’Agence nationale des campus d’excellence qui aura pour mission de : « Soutenir la transformation d’un nombre limité (cinq à dix) de groupements d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche (indépendamment de leur statut : universités, grandes écoles, fondations de coopération scientifique…) en institutions pluridisciplinaires de dimension et de réputation mondiales, avec l’objectif de les faire figurer dans les cinquante premiers des différents classements mondiaux et du futur classement européen, et d’en faire entrer deux dans les vingt premiers » (page 56). On admire la précision concernant les classements ! Mais tout de même, 10 milliards pour cela… La question qu’il aurait fallu se poser c’est, compte tenu des moyens déjà importants consacrés aux universités, pourquoi nous n’y sommes pas parvenus ? Mais là il faudrait se s’interroger sur le fonctionnement de l’enseignement supérieur, entreprendre des réformes de structure, et cela les pouvoirs en place (à l’Etat comme à l’université) ne veulent pas en entendre parler. Donc on fait ce que l’on fait depuis toujours, on injecte de l’argent !
De la même façon, le rapport préconise d’« Instituer des bourses permettant d’attirer ou de faire revenir en France des post-doctorants et des chercheurs de renommée internationale » (page 60). Mais pourquoi sont-ils partis ? Le rapport propose de l’argent (de 500 k€ à 1 M€ par chaire au maximum), ce qui est une façon un peu méprisante de voir le problème (il faut aussi tenir compte de la lenteur de progression des carrières, du manque de liens avec les entreprises, etc).
Mais la véritable esbroufe du rapport consiste à faire croire à la rentabilité économique de ces dépenses. Le rapport affirme : « Les dépenses d’investissement retenues par la Commission donnent lieu à la constitution d’actifs à hauteur de près de 60 %. Les autres dépenses sont accompagnées d’une exigence de retour. Dans tous les cas, les dépenses choisies sont porteuses d’une rentabilité directe (dividendes, royalties, intérêts…) ou indirecte (recettes fiscales induites par une activité économique accrue) pour l’État et de bénéfices socio-économiques pour la collectivité. » (pages 15, 25). Mais lorsque l’on regarde ce « retour » dans le détail de chaque projet, on a le plus souvent ces phrases : « La rentabilité de cet investissement est d’ordre socio-économique » ou aussi « en cas de succès économique »… Interdit de rire. Mais il faut bien vendre le Grand emprunt aux députés et à l’opinion.
Par exemple, le rapport préconise la création d’un « fonds national de valorisation des projets innovants » doté de 1 milliard d’euros qui « pourrait prendre des participations dans des structures de valorisation à hauteur de 10 % de son capital initial chaque année au maximum, jusqu’à épuisement de ses capacités. L’objectif est en effet que les structures de valorisation atteignent un équilibre financier après une dizaine d’années, grâce aux revenus générés par les licences concédées et par les prises de participation » (pages 70-71)… Qui peut croire une telle annonce qui ne s’appuie, dans le rapport, sur aucune étude ou estimation chiffrée ?
Si l’Etat peut avoir un rôle c’est dans les infrastructures, mais il n’y a rien dans le rapport, hormis 2 milliards pour développer le très haut débit, ce qui est une bonne idée, mais la somme est, pour le coup, largement insuffisante. On note d’ailleurs, dans le domaine numérique, également 2 milliards pour développer les usages et les contenus numériques, comme si c’était à l’Etat de le faire !
En fait on constate que, hormis les 10 milliards pour les campus, ce sont dans tous les cas des dépenses à coup de 1 à 2 milliards par ci ou par là (biotechnologies, nucléaire, aérospatial, transport collectif, isolation, véhicules électriques, etc) qui auraient pu être réalisées dans le cadre du budget normal de l’Etat, si celui-ci avait engagé un programme d’économie ! Le Grand emprunt traduit surtout l’incapacité de l’Etat à se réformer.
Sous l’emballage séduisant, ce Grand emprunt n’est qu’un budget bis qui ne fera qu’accroître le déficit sans relancer la croissance.
Grand emprunt : le rapport de la commission Juppé-Rocard
Philippe Herlin
© La dette de la France .fr