Nassim Nicholas Taleb était de passage à Paris, le 13 octobre 2010, dans le cadre des « Grands rendez-vous de L’Expansion ». Le livre qui l’a rendu célèbre, Le Cygne noir (2,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde), sort en poche, et celui qui se définit comme « philosophe des sciences du hasard » publie un autre ouvrage qui prolonge ses réflexions, Force et fragilité, toujours aux Belles lettres. Reprenons quelques unes des idées qu’il a développées au cours de cette conférence.
Fragile/robuste
Taleb est franchement pessimiste, la crise de 2008 ne constitue selon lui qu’un « prélude »… Notre économie devient en effet de plus en plus « fragile ». Comment comprendre cette notion ? L’optimisation, l’efficacité, l’efficience se payent par un accroissement de la fragilité, le Kindle d’Amazon permet d’emporter avec soi des centaines de livres, mais si on renverse son café dessus ou si on a oublié l’adaptateur pour le recharger, il devient inutilisable ; un livre est bien plus « robuste ». Donc se débarrasser de tous ses livres pour garder un Kindle constitue un choix très risqué, il vaut mieux privilégier la diversité, garder ses livres importants, tous en ayant éventuellement un Kindle. La nature gère très bien la diversité ou, terme important, la redondance, il faut s’en inspirer. Si on tue un éléphant, l’animal le plus gros, l’équilibre n’est pas bouleversé, par contre si une banque importante fait faillite (Lehman Brothers), le système financier est menacé. La redondance peut se traduire par des inefficacités au sens économique, mais elle apporte une vraie protection contre la ruine. Autre image : il y a plus de diversité écologique au mètre carré sur une île que sur un continent ; la mondialisation diminue la diversité (en favorisant la spécialisation des pays) et donc accroît le risque de crise, il faut donc chercher à maintenir une diversité économique (les pays ayant une agriculture monoproduit font une erreur), mais sans en passer par le protectionnisme, qui ne règle pas le problème sur le fond.
Le hasard moral
Un système plus redondant ne nécessite pas des réglementations supplémentaires (qui sont toujours contournées), ce n’est absolument pas incompatible avec les libertés économiques. C’est au contraire le « hasard moral », le fait que l’Etat vienne toujours à l’aide des grosses banques, qui favorise cet oubli de la ruine et la constitution de groupes financiers toujours plus vastes, et fragiles en cas de crise.
Le danger de la dette
L’augmentation de l’endettement ces dernières années s’est conjuguée à une montée de l’imprévisibilité. Le grand problème de la dette c’est qu’elle ne permet pas l’erreur. Si les prévisions (de l’entreprise ou du gouvernement) s’avèrent erronées, c’est la faillite. Alors que des actionnaires peuvent « absorber » le choc. Et les « Cygnes noirs » (événements ayant de grandes conséquences mais qui sont imprévisibles) sont nombreux ! L’éclatement de la bulle Internet en 2000 n’a pas provoqué de crise parce qu’il n’y avait pas de dette. Le théorème de Modigliani-Miller, qui valorise l’endettement, constitue à cet égard une erreur flagrante. Il faut réduire la dette à tout prix, et en passer par la conversion en actions (Debt to Equity), sinon…
La crise à venir
La salle demande à Taleb s’il prévoit plutôt de la déflation ou de l’hyperinflation, il propose une autre forme de krach : « l’hypervolatilité des prix », c'est-à-dire de la déflation mêlée à de l’hyperinflation, en l’occurrence une destruction de la valeur de ce que vous avez (l’immobilier) et une explosion des prix de ce que vous n’avez pas (nourriture, essence)… Une analyse intéressante puisque l’on observe déjà ce mouvement, mais à petite échelle, avec la baisse des prix de l’immobilier (pas vraiment en France mais c’est réel aux USA, RU, Espagne, etc) et un renchérissement des produits alimentaires. En France on met ça sur le dos de l’euro mais les causes en sont sans doute plus profondes, et inquiétantes.
Qu’est ce qui est fragile et robuste en économie ? Un tableau tiré d’une publication récente de Taleb
Philippe Herlin
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